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fethi d'alger
08/05/2015, 10h34
Description d'une nouvelle espèce d'anabate dans le nord-est du Brésil
source :Ornithomedia
Cet oiseau a été nommé Anabate cryptique ou de Mazar Barnett (Cichlocolaptes mazarbarnetti) et serait en danger critique d'extinction.
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Anabate cryptique ou de Mazar Barnett (Cichlocolaptes mazarbarnetti).
Montage : Rolf Grantsau
Le nord-est du Brésil a été colonisé par les Européens dès le 17ème siècle, et les vastes forêts qui s'étendaient au nord du fleuve São Francisco ont largement été remplacées par des cultures, notamment de canne à sucre. Il ne reste aujourd'hui qu'environ 2 % (soit 1 900 km²) de la couverture boisée originelle. Malgré cela, les dernières zones boisées accueillent encore une grande diversité d'oiseaux endémiques, dont plusieurs d’entre elles n’ont pas encore été décrites. Le 12 octobre 2002, Juan Mazar Barnett (aujourd'hui décédé) et Dante Renato Corrêa Buzzetti ont observé dans la réserve (Estação Ecológica) de Murici, dans l’état d’Alagoas, un oiseau au plumage très proche de celui de l’Anabate d'Alagoas (Philydor novaesi) : toutefois, son comportement, sa morphologie et sa voix étaient nettement distincts et il présentait des affinités (morphométriques et comportementales) avec les représentants du genre Cichlocolaptes. Ils l'ont nommé Anabate cryptique (traduction du nom anglais : "Crypic Treehunter") ou de Mazar Barnett (Cichlocolaptes mazarbarnetti), en l'honneur de Juan Mazar Barnett (l'espèce n’a pas encore de nom officiel en français). Sa description officielle a été publiée en juin 2014 dans la Revista Brasileira de Ornitologia.
Historique
Alors qu’ils étudiaient l’avifaune de la réserve de Murici, et en particulier l’Anabate d'Alagoas (Philydor novaesi), Juan Mazar Barnett et Dante Renato Corrêa Buzzetti ont observé le 12 octobre 2002 un mystérieux oiseau dont le plumage était proche mais qui présentait des différences morphométriques, comportementales et vocales. Il avait plusieurs points communs avec les représentants du genre Cichlocolaptes. En février 2003, ils ont découvert la présence de l’Anabate d'Alagoas dans des forêts de montagne de la Reserva Particular do Patrimônio Natural Frei Caneca, dans l’état de Pernambuco : son comportement, sa morphologie et ses vocalisations rappelaient ceux de l’Anabate à sourcils blancs (P. atricapillus) et étaient différents de ceux de l’oiseau de Murici. Ils ont finalement réalisé que les individus de Frei Caneca étaient les "vrais" Anabates d'Alagoas et que l’individu observé le 12 octobre 2002 appartenait à une espèce non encore décrite.
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Emplacements des réserves de Murici et de Frei Caneca (Brésil) où a été observé l'Anabate cryptique (Cichlocolaptes mazarbarnetti)
Carte : Ornithomedia.com
Méthodologie

Juan Mazar Barnett et Dante Renato Corrêa Buzzetti ont examiné 30 spécimens naturalisés d’Anabates d'Alagoas, 35 d’Anabates à tête noire (Philydor atricapillus) (à l'aspect proche) et 30 d'Anabates à sourcils blancs (Cichlocolaptes leucophrus). Ils ont pris différentes mesures (longueur totale, partie exposée du culmen, queue, tarses, envergure, distance entre les commissures et l'extrémité du bec...), noté leur masse et la couleur du plumage et compté les rémiges et les rectrices. Ils ont enregistré ces trois espèces avec un Sony TCM 5000EV et des microphones Sennheiser ME66 et ME67, ils ont généré des spectrogrammes avec le logiciel Cool Edit 2000 et ils les ont analysés.

Description de l'holotype

L'holotype (= spécimen ayant servi à décrire pour la première fois l’espèce) est une femelle adulte collectée en 1986 dans la Serra Branca à Murici, dans l'état d'Alagoas : elle se différenciait de l’Anabate d'Alagoas par son corps bien plus long (221 cm contre 195 cm), sa masse supérieure (48 grammes contre 30 grammes), une plus grande envergure (320 cm contre 280 cm), une couronne, un front et des lores (= parties entre l'œil et le bec) noirs (et non pas mouchetés de brun), une zone périoculaire sombre (et non pas chamois), l’avant du sourcil chamois (indistinct chez P. novaesi), des zones sombres sur les côtés du cou (absentes chez P. novaesi), des rectrices orange-roux plus longues et plus pâles contrastant avec le croupion brun (roux chez P. novaesi) et un bec plus fort, à base plus large. Une femelle immature collectée le 20 janvier 1986 et mesurant 207 cm (soit bien longue plus que le mâle de l’Anabate d'Alagoas) a aussi été décrite.
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De gauche à droite : Anabates d'Alagoas (Philydor novaesi) mâle et femelle, Anabate cryptique ou de Mazar Barnett (Cichlocolaptes mazarbarnetti) femelle (centre) et deux Anabates d'Alagoas (Philydor novaesi) mâles (cliquez sur la photo pour l'agrandir)
Source : Dante Renato Corrêa Buzzetti / Revista Brasileira de Ornitologia
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De gauche à droite : Anabates à tête noire (Philydor atricapillus), d'Alagoas (Philydor novaesi), cryptique ou de Mazar Barnett (Cichlocolaptes mazarbarnetti) et à sourcils blancs (Cichlocolaptes leucophrus) (cliquez sur la photo pour l'agrandir)
Source : Dante Renato Corrêa Buzzetti / Revista Brasileira de Ornitologia
Le nom donné

Le nom d’espèce Cichlocolaptes mazarbarnetti a été donné par Dante Renato Corrêa Buzzetti en l’honneur de Juan Mazar Barnett, l’un des deux découvreurs qui est décédé avant la publication de la description officielle. Son nom anglais de "Cryptic Treehunter" (Anabate cryptique) évoque sa rareté et la difficulté à le distinguer de l’Anabate d'Alagoas sur le terrain. Son nom portugais de "gritador-do-nordeste" fait allusion à Gritador, un personnage folklorique qui se suicida après avoir tué son frère par erreur : le chant puissant de l’anabate rappellerait les plaintes de son esprit hantant les forêts…

Un chant distinct

Les vocalisations de Cichlocolaptes mazarbarnetti ont été enregistrées par quatre personnes entre mars 2001 et avril 2007 dans la fazenda (exploitation agricole) de Bananeiras et à Frei Caneca : le chant typique est une crécelle rapide et sèche (comprenant de 9 à 62 notes) durant de 0,38 à 2,81 secondes suivie par une série de quatre à huit notes râpeuses et fortes lancées à un rythme régulier, selon une fréquence croissante puis décroissante (écoutez un enregistrement). Suite à la diffusion d’enregistrements de ce chant, les oiseaux répondaient par une vocalisation quelque peu différente: la crécelle initiale était plus longue et suivie de une à trois notes. 123 chants ont été analysés, et peu de variations ont été notées. Des notes râpeuses isolées ont aussi été entendues, ainsi qu'un possible cri d'alarme composé d’une à trois notes modulées. Le chant de l’Anabate d'Alagoas est bien différent : c'est une crécelle plus aiguë, moins rapide et plus longue, non suivie de notes rauques (écoutez un enregistrement).
L’espèce est particulièrement active vocalement entre mars et octobre : un Anabate cryptique enregistré le 20 avril 2007 a chanté durant 12 minutes à l’aube. Il ne réagit pas à la diffusion du chant de l’Anabate d'Alagoas.
Des enregistrements sont disponibles sur www.dantebuzzetti.com.br.

Une espèce forestière
L’Anabate cryptique n'est connu que de quelques sites : la réserve de Murici (la localité-type) dans l'état d'Alagoas, la réserve de Frei Caneca dans la localité de Jaqueira et Poço d’Anta près de la fazenda Bananeiras dans l'état de Pernambuco. Il pourrait aussi être présent dans les forêts des fazendas de Pedra d'Anta et de São José et dans la Serra do Ouro.
L’Anabate cryptique recherche sa nourriture dans les arbres, entre 8 et 20 mètres de haut, tandis que l’Anabate d'Alagoas se nourrit dans les strates basses de la végétation. Le 12 octobre 2002, un Anabate cryptique a été observé recherchant des proies dans une broméliacée, et deux autres ont été notés en janvier 1998 et en janvier 1999 explorant des épiphytes à 12 - 15 mètres de haut.
Il a été vu seul ou en couple, parfois en association avec d'autres espèces dont le Pic affin (Veniliornis affinis), le Picumne de Buffon (Picumnus exilis), l’Anabate du Pernambuco (Automolus lammi) et le Grimpar brun (Xiphorhynchus atlanticus) (lire Les rondes d'oiseaux).
Il vit dans quelques forêts denses et humides riches en plantes épiphytes (broméliacées) poussant sur des collines et dans des ravins.
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Habitat de l'Anabate cryptique (Cichlocolaptes mazarbarnetti).
Source : Dantebuzzetti.com.br
Une espèce très menacée

L’Anabate cryptique est probablement l'une des espèces les plus rares du monde : sa population pourrait être inférieure à 50 individus, dont 5 à 10 couples (2004) dans la réserve de Murici et de un à deux couples à Frei Caneca. Il ne survivrait que dans quelques forêts humides totalisant moins de 3 000 hectares toujours menacées, et il est en danger critique. D'autres recherches seraient nécessaires pour mieux connaître son aire de répartition : l'espèce pourrait peut-être être présente dans les 3 500 hectares de forêts d'Usina Serra Grande, entre Murici et Frei Caneca. Il est nécessaire d'agir vite pour la protéger car cet anabate pourrait disparaître rapidement.